Oppenheimer : Jean Tatlock a-t-elle été assassinée ?

Isabelle Thierens
Florence Pugh dans Oppenheimer

Bien qu’Oppenheimer de Christopher Nolan soit centré sur la vie du célèbre physicien, Jean Tatlock y tient une place importante, mais un grand mystère demeure : a-t-elle été assassinée ?

Le dernier chef-d’œuvre de Christopher Nolan raconte l’histoire du physicien qui a dirigé le projet Manhattan, aboutissant au Test Trinity, le premier essai d’une arme nucléaire dans le monde. Mais au cœur de l’intrigue se trouve la complexité de la vie d’Oppenheimer, ses inclinaisons politiques, et la culpabilité qu’il a ressentie vis-à-vis de sa propre création. “Maintenant, je suis devenu la Mort”, a-t-il un jour prononcé, “le destructeur des mondes”.

Le film s’épanche également sur sa vie amoureuse, poussant au cœur de l’intrigue les deux principales femmes de sa vie : sa femme Katherine « Kitty » Oppenheimer, et sa maîtresse Jean Tatlock. Cette dernière, interprétée par Florence Pugh, était psychiatre et médecin, et ses liens avec le Parti communiste ont été mis en question lors des audiences de sécurité controversées d’Oppenheimer.

Bien que sa mort ait été considérée comme un suicide, il y a eu beaucoup de spéculations au fil des ans quant à savoir si elle n’avait pas plutôt été assassinée. 

Jean Tatlock a-t-elle été assassinée ?

Si l’on se fie aux livres d’Histoire, la maîtresse d’Oppenheimer, Jean Tatlock s’est suicidée après avoir souffert de dépression clinique. Elle est décédée le 4 janvier 1944 et une enquête formelle en février a conclu à un “suicide, motif inconnu”. Mais de nombreuses preuves ont conduit un certain nombre de personnes à croire qu’elle a été en réalité assassinée.

Tout d’abord, la manière dont elle est morte soulève des questions. Bien qu’elle ait ingéré des barbituriques, ce n’était pas une dose mortelle et la jeune femme avait pris un repas complet peu de temps avant sa mort, une chose assez inhabituelle avant un suicide, surtout en cas d’overdose.

De plus, une autopsie a permis de découvrir des traces d’hydrate de chloral dans son système, qui, mélangé à de l’alcool, crée un “Mickey Finn”, une boisson généralement alcoolisée dans laquelle on a versé une drogue afin de faire perdre conscience à une personne. Et puis il y avait le fait que la cause du décès était l’asphyxie par noyade.

Une citation d’An Atomic Love Story : The Extraordinary Women in Robert Oppenheimer’s Life dit : “Ces circonstances curieuses sont assez suspectes – mais l’information troublante contenue dans le rapport d’autopsie est l’affirmation que le médecin légiste a trouvé une faible trace d’hydrate de chloral dans son système. Si administré avec de l’alcool, le chloral hydrate est l’ingrédient actif de ce qui était alors communément appelé un “Mickey Finn”, une boisson pour assommer. En bref, plusieurs enquêteurs ont spéculé que Jean aurait pu être droguée au Mickey, puis noyée de force dans sa baignoire.”

Les auteurs du livre, Shirley Streshinsky et Patricia Klaus ont suggéré que Tatlock aurait pu prendre les barbituriques et l’hydrate de chloral pour perdre connaissance dans la baignoire, mais “d’un autre côté, a dit un médecin qui a vu les dossiers de Tatlock, si vous étiez malin et que vous vouliez tuer quelqu’un, c’est une bonne façon de le faire.”

Mais et si l’autopsie n’avait pas été légitime en premier lieu ? C’est ce qu’a avancé le scénariste et chercheur emblématique Bruce Robinson, qui a créé son propre film sur Oppenheimer appelé Fat Man and Little Boy, sorti en 1989.

Dire que Robinson est méticuleux dans ses recherches est un euphémisme, il a passé 15 ans à collecter des documents sur le mystère de Jack l’Éventreur, et beaucoup pensent même qu’il est la personne qui a résolu cette vieille affaire.

Il a consacré autant d’efforts pour ses recherches sur Oppenheimer pour Fat Man and Little Boy, au point où son téléphone a été mis sur écoute et qu’il aurait même été suivi après avoir découvert des secrets sur le possible complot américain pour le meurtre de Tatlock et les mensonges racontés sur la course aux armements nucléaires.

Pour en savoir plus sur Tatlock, Robinson s’est même rendu à Berkeley, où Tatlock avait rencontré Oppenheimer pour la première fois en tant qu’étudiante diplômée. Mais comme il le dit dans son livre Smoking in Bed, quand il est arrivé là-bas, “pratiquement tout ce qui était pertinent à son sujet avait disparu”. Il a donc appelé chaque personne portant le nom de Tatlock aux États-Unis et au 3946e appel, il a trouvé son frère.

“Et c’est là que nous avons obtenu la première photographie”, a-t-il écrit. “Maintenant, je recherche toutes les informations possibles sur cette femme, car je suis très suspicieux. J’ai fait parvenir ses rapports d’autopsie au professeur Keith Simpson, un éminent pathologiste dans ce pays, il les regarde et dit : C’est des conneries.”

“Si quelqu’un de l’importance de la maîtresse d’Oppenheimer se noie dans la baignoire, les autorités vont faire une autopsie très détaillée, car peut-être qu’elle a été tuée lors d’une tentative d’assassinat ratée contre Oppenheimer, par les Russes, les Allemands ou Dieu sait qui.”

“L’une des premières choses à faire lorsqu’une personne se noie est une analyse des diatomées. Les diatomées sont de minuscules organismes unicellulaires qui vivent dans l’eau, et si quelqu’un est mort dans le bain, vous prenez du liquide des poumons, du cerveau ou autre, et vérifiez la présence de diatomées, car peut-être qu’il a été noyé dans une rivière et jeté dans le bain pour faire croire à un suicide. Aucun test diatomées n’a été fait. Il n’a pas fallu longtemps pour prouver que toute l’autopsie était une invention inadéquate.”

Ensuite, Robinson a examiné la note de suicide et le psychiatre que Tatlock était censée avoir consulté pour sa dépression. Robinson a indiqué : “Elle avait consulté un psychiatre pendant deux ans à cause de sa dépression, ont dit les journaux. En réalité, elle avait vu un psychiatre pendant deux ans et payé pour prendre des leçons avec lui pour son futur travail.”

“Nous avons trouvé ses amis qui étaient encore en vie : Jean déprimée ? Pas du tout. C’était une fille joyeuse. Elle aimait la vie. Petit à petit, nous arrivons au point où, si j’avais été le flic, j’aurais procédé à l’arrestation. Les gens du G2/FBI l’ont fait assassiner. Ils lui ont donné de l’hydrate de chloral pour lui faire perdre connaissance, l’ont jetée dans la baignoire, ont conçu de toute pièce une note, et en un jour ou deux, car son père était un homme très en vue dans la région de Berkeley, il y a des articles de journaux qui parlent du suicide de Jean Tatlock.

“J’ai quelque part une cassette de moi confrontant le colonel Lansdale [l’ancien agent de la CIA], qui était alors un vieil homme, et vous devriez entendre son étonnement que quelqu’un ait finalement découvert la vérité.”

Il est important de garder en tête que ses affirmations selon lesquelles Jean Tatlock a été assassinée n’ont jamais été prouvées.

Pourquoi le gouvernement voudrait-il la mort de Jean Tatlock ?

Qu’elle ait eu lieu ou non, le mobile était clair : Jean Tatlock était membre du Parti communiste, reporter et écrivaine pour le Western Worker. Le major-général Leslie Groves avait déjà des préoccupations concernant Oppenheimer lorsqu’il l’a envisagé pour diriger le projet Manhattan en raison de ses vues libérales, alors que le physicien n’avait même jamais rejoint le parti.

Tatlock est morte à une époque où Oppenheimer était profondément impliqué dans le projet. Étant donné les enjeux élevés et le secret autour de Los Alamos, certains théoriciens suggèrent que sa mort aurait pu être mise en scène pour protéger les informations américaines. Oppenheimer avait admis entretenir une relation étroite avec Tatlock et lui avait même rendu visite en juin 1943 contre l’avis des responsables de la sécurité, ce qui aurait pu faire d’elle une cible.

Cillian Murphy et Florence Pugh dans Oppenheimer

Finalement, Oppenheimer et Tatlock ont gagné la confiance de Groves, mais on ne peut pas en dire autant du colonel John Lansdale Jr., qui a été chef du renseignement et de la sécurité pour le projet Manhattan.

Robinson a continué à dire dans Smoking in Bed : “Groves sait qu’Oppenheimer est sûr, Lansdale ne le sait pas. Groves sait que Tatlock est sûre, Lansdale ne le sait pas. Il demande : Tatlock fait-elle partie des gens qui ont approché Oppenheimer ? Groves se braque et malgré la menace d’une cour martiale pour avoir insisté là-dessus, ce que fait Lansdale, c’est passer outre.

“Groves et tout le monde sous les ordres de Groves, est contrôlé par la sécurité G2, mais Jean Tatlock est une civile, sous la juridiction du FBI, alors Lansdale se rend chez J. Edgar Hoover à Washington et lui raconte tout par l’intermédiaire de deux agents appelés Tamm et Whison.

“En paraphrasant, Hoover dit : Merde à ça. Oppenheimer commet non seulement l’adultère, ce que je n’aime pas, mais la fille est une communiste, ce que je n’aime pas encore plus… et nous avons le projet le plus secret et le plus coûteux de l’histoire de l’humanité qui pourrait nous faire gagner la guerre. Cette garce est la boîte aux lettres soviétique parfaite. Il faut l’éliminer. Quatre jours plus tard, Jean Tatlock est morte.”

Oppenheimer : Comment le film dépeint-il sa mort ?

Bien que Jean Tatlock soit morte par suicide dans Oppenheimer de Christopher Nolan, il y a un indice indiquant que cela reste ouvert à la spéculation. Notamment, un flashback mettant la jeune femme en scène où l’on aperçoit un homme se rapprocher d’elle, la caméra se concentrant sur ses gants noirs.

Bien que ce soit un bref instant, cela en dit long sur la conscience du réalisateur des théories entourant sa mort. Et puis il y a la culpabilité d’Oppenheimer, qui peut être interprétée de deux manières : en mettant fin à leur relation, il l’a poussée au suicide, ou il croit qu’elle a été tuée à cause de leur relation.

Dans un article pour Vulture, le critique Bilge Ebiri a écrit : “Il est clair qu’Oppenheimer se reproche la mort de Tatlock. Si elle s’est effectivement suicidée, il suppose qu’elle l’a fait à cause de leur incapacité à être ensemble. Il est également possible, comme le laisse entendre la scène avec les gants noirs, qu’elle ait été assassinée par le gouvernement en raison de préoccupations de sécurité autour du projet Manhattan.”

À Propos De L’Auteur

Rédactrice chez Dexerto depuis plus de deux ans, Isabelle n'a pas de jeu préféré dans sa vie, elle a bien essayé de se décider une fois ou deux mais le résultat n'a pas été à la hauteur de ses espérances. En revanche, elle cultive un goût particulier pour les tout petits plaisirs, plonger vaillamment dans un combat face aux poules de Skyrim, briser tous les obstacles dans les RPG pour créer son propre chemin et poser des wards sur League of Legends. Contact : [email protected]